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Dans leur quête pour déterminer l'origine du Sars-CoV-2, étape essentielle pour éviter sa résurgence, les scientifiques ont acquis une certitude : tout est parti d'un animal. Ce n'est pas une surprise, 75% des maladies émergentes apparues depuis le début du XXe siècle sont des zoonoses, des maladies transmises par les bêtes. "Pour déterminer lesquelles, il faut mener une véritable enquête de police, raconte Serge Morand, chercheur au CNRS-Cirad. Mais remonter la piste prendra du temps."
Depuis le début de l'épidémie, plusieurs scénarios ont été élaborés. Tous débutent avec les chauves-souris. "Les chiroptères abritent une trentaine de coronavirus, explique l'écologue de la santé. Leurs diverses espèces existent depuis des millions d'années, soit le temps de cohabiter avec une multitude de maladies!" Excellents réservoirs de virus, elles les hébergent sans développer les symptômes.
Les recherches ont permis d'établir que le génome d'un coronavirus isolé à partir d'une chauve-souris originaire de la province du Yunnan présentait 96% d'identité avec celui du virus humain. Les séquences du gène étant différentes, la piste d'une transmission directe du petit mammifère à l'homme est explorée mais pas privilégiée. Les scientifiques travaillent également sur l'hypothèse d'un hôte intermédiaire. C'est ici qu'a surgi le pangolin, un animal qui possède le statut peu enviable de mammifère le plus braconné de la planète, chassé pour sa chair et ses écailles.
Plusieurs études ont établi que l'insectivore était le seul autre mammifère, avec la chauve-souris, signalé comme infecté par un coronavirus apparenté au Sars-Cov-2. Là aussi, des scénarios s'écrivent dans les laboratoires du monde entier. Parfois, les rôles sont même distribués. Les chauves-souris porteuses du virus se nourrissent du nectar des fleurs et fruits des bégoniacées ; ce faisant elles déglutissent et, réflexe primaire chez cet animal, urinent. Le fruit souillé tombe à terre, attirant les fourmis dont les pangolins raffolent.
"Ce que l'on sait est que le virus circulant en population humaine est une recombinaison à partir de deux coronavirus"
Voilà une hypothèse séduisante. Mais, dans une dernière étude parue dans la revue Nature le 26 mars, les chercheurs estiment que le génome du coronavirus isolé chez le pangolin est similaire seulement entre 85,5 et 92,4% à celui du Sars-Cov-2. Si l'animal a joué un rôle dans l'écologie du virus, on ignore s'il l'a transmis à l'homme. "Ce que l'on sait est que le virus circulant en population humaine est une recombinaison à partir de deux coronavirus, explique Jean-François Guégan, celui d'une chauve-souris et celui d'un pangolin." Et de poursuivre : "Est-ce que l'un et l'autre ont été des réservoirs et l'ont transmis à d'autres animaux? Est-ce que l'un est réservoir et l'autre, hôte intermédiaire? Il est trop tôt pour le dire."
D'autres chercheurs suivent d'ailleurs la piste de la civette, un mammifère à mi-chemin entre la panthère et le blaireau, déjà soupçonné d'avoir joué les hôtes intermédiaires entre la chauve-souris et l'homme dans l'épidémie de Sras en 2003. "Il faudrait aussi regarder du côté des cochons, estime Serge Morand. Il y a eu une alerte en 2017 quand un coronavirus de chauve-souris avait émergé sur des porcs dans des élevages en Chine."
Les scientifiques s'accordent à dire que l'hôte intermédiaire est à rechercher chez un animal sauvage prélevé en masse dans son milieu d'origine ou dans un élevage. "C'est en effet la proximité entre les activités humaines et la faune sauvage qui créent les conditions de naissance d'une épidémie", explique Aleksandar Rankovic, chercheur à l'Iddri. Privés de leurs habitats naturels et de source de nourriture – 13 millions d'hectares de forêts disparaissent chaque année –, les animaux sauvages s'aventurent aux abords des villes, et notamment des exploitations animales. Quand ils ne sont pas directement chassés et transportés sur des milliers de kilomètres. "C'est l'homme lui-même qui organise ces rencontres", juge Jean-François Guégan, relatant ces longs trajets en camion lors desquels pangolins, chauves-souris et autres se retrouvent dans des cages souillées d'urine et d'excréments. "Le parfait carrefour pour constituer le lit de maladies infectieuses."
Les exploitations intensives, elles, hébergent des animaux dont le peu de diversité génétique en fait de parfaits candidats à l'épidémie. Les pandémies grippales de 2005 et 2009 sont d'ailleurs nées dans des élevages de porcs et de volailles en haute concentration. "Dans le monde, la demande pour la viande, le lait et les œufs explose, explique Aleksandar Rankovic. Cela forme un véritable rouleau compresseur sur les écosystèmes."
"Aujourd'hui, 75% de nos terres sont transformées pour l'agriculture et les activités humaines, abonde Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité. Notre modèle de développement met en danger la santé humaine, animale et environnementale." C'est pourquoi, juge Serge Morand, il est "nécessaire de comprendre les mécanismes écologiques de l'émergence du virus". Faute de quoi, "ce ne sera pas la dernière des catastrophes, alerte Jean-François Guégan, car nous avons réveillé des cycles qui dormaient."